Par Joffre Grondin
1/17/2010 5:41:47 AM
«Si tu veux connaître quelqu’un, ne lui parle pas de son travail, parle-lui de son hobby», m’a dit un jour quelqu’un qui a fini sa carrière dans le corps diplomatique canadien. J’avais trouvé, et je trouve encore que c’était une trouvaille brillante... et exacte. On aime pas toujours son travail, mais essayez de trouver quelqu’un qui n’aime pas son passe-temps pour voir. Un hobby c’est ce qu’on fait par plaisir.
On y met des heures et elles filent sans qu’on les voit passer. À vrai dire, le temps semble extensible. On dit: «Prends ton temps», c’est pas pour rien. On a chacun notre temps et il ne va pas toujours à la même vitesse, comme une auto ... ou un train. Ce qui nous ramène à moto, photo et trains.
Tous les là, des paysages, des personnages, des maisons, des camions, tout à l’échelle
Je voulais construire une maquette. Comment faire? Chercher quelqu’un qui s’y connait, c’est évident. Mais où? Lumière! Il y a plein de maquettes à l’Hôtel de ville.
Une demi-heure et beaucoup de maquettes plus tard, l’archiviste de la ville (c’est la maman dans le groupe Élicatroca) me donne un nom: Léo Fortin, maquettiste. «Il aime beaucoup les trains aussi». Ah! C’est drôle ça, moi aussi. Téléphone. Voix sympathique. Rendez-vous.
Nous nous rendons à son atelier, structure ayant le même design particulier que la maison, mais en plus petit. Belles lignes, look sobre et original. À l’intérieur des établis sur trois côtés. Au-dessus de celui du fond, de grandes photos attirent l’oeil. Des photos qu’on ne voit que dans des films ou sur des cartes postales: le désert, les mesas, et cet homme près de sa moto pas loin de Monument Valley dans l’Ouest américain, c’est lui, Léo Fortin.
Son périple à moto l’a conduit du nord de la Californie jusqu’à Zion Park dans l’Utah. Ces paysages stupéfiants sont considérés comme les plus beaux en Amérique du Nord. Les films westerns nous les ont rendus familiers, mais y être c’est autre chose. Les voyageurs connaissent cet émerveillement. J’ai donc devant moi un motard photographe bricoleur maquettiste qui aime les trains. Mais où sont ces maquettes?
Soudain, à mon étonnement total, il commence à enlever des morceaux de plafond et place deux petits escabeaux près des établis. Il explique qu’il s’intéresse aux trains miniatures depuis 1975, mais depuis 1986 devant un manque d’espace il a dû se débrouiller, et nous montons vers le ciel.
Composition sortie tout droit du cerveau fertile de Léo.
Nous nous retrouvons sur les établis, au premier en bas de la ceinture et au deuxième en haut de la ceinture avec une vue...comme si on était le joyeux Géant Vert sur tout un monde. Y’en a partout. À 360 degrés. Tout le tour et dans le milieu s’étend un ilôt où trône une gare que ma foi je reconnais. On a l’impression de faire partie du paysage et non d’être spectateur. On ne s’attend pas à ça, on regarde partout en même temps, entouré de ciel et de nuages.
Des gares, des rails, des tunnels, des locomotives, des wagons, des paysages, des personnages, des maisons, des aiguillages... tout à l’échelle HO qui est à 1/87. Ah! le panneau de contrôle. Chaque locomotive doit avoir sa puce électronique, chaque aiguillage est programmé. Les rails et les roues doivent être propres car ils sont sensibles à la graisse et à la poussière. Il faut même charger, empeser les wagons pour plus de réalisme de mouvement.
: La gare (devant le géant) est identique à la vraie à 1/87 d’échelle.
Certaines parties de cette impressionnante maquette sont des reproductions exactes de bâtiments encore actuels tels la meunerie P.A. Lessard et le Freight Shed, ou disparus comme la gare de Saint-Georges et Beauce Chipping etc. D’autres sont des pures compositions, mais avec le même réalisme dans les détails. Beaucoup de matériel doit être commandé d’Ontario ou des États-Unis, mais le travail de précision pour la création des paysages, maisons est colossal. «Le but est de rendre le plus authentique possible» confie-t-il.
Les matériaux utilisés étonnent. On a du vrai lichen, saucé dans la teinture et la glycérine entre autres qui donnent une texture très particulière; des sapins du Dollorama qui sont retravaillés et ont l’air aussi vrai que nature; les collines, montagnes, tunnels à base de papier, de colle coupée d’eau et de peinture qui imitent la pierre; les personnages de deux centimètres (3,5 mm au pied) à qui on peut dessiner le visage en utilisant une loupe; même le sol est imité.
Il y a tant de détails qu’on vient près d’oublier qu’il faut un plan d’ensemble. «On va faire le design sur papier, mais ça change en cours de route, pour atteindre le plus de réalité possible». Faut mettre beaucoup de temps.
Comme il fait des maquettes pour des compagnies privées, il en a moins. Il montre un endroit où il y a une maison. «J’ai travaillé ça un hiver». À l’échelle, avec tous les détails, couleurs, proportions et tout.
Est-ce la vraie ou...? Photo: Léo Fortin
On aperçoit sur cette photo la gare de Saint-Georges, avec la meunerie Pierre-Albert Lessard à gauche. Quelques cheminots s’affairent. Dans quelques minutes ce sera direction Lac Frontière avec passagers et marchandises et peut-être un ou deux clandestins qui vont sauter à bord dans la courbe. En quelle année sommes-nous?
On pourrait croire que cette photo date du milieu du siècle dernier. Mais non, c’est une maquette. D’accord j’ai tripoté un peu, j’ai enlevé la couleur et l’ai mis en noir et blanc genre sépia. C’est presque pas tricher ça. Un ou deux clics de souris. En réalité, ou en irréalité si vous voulez, c’est une maquette, une des créations de Léo Fortin. Et la photo l’est également, selon une technique prise dans la revue Model Railroader, «la meilleure», nous assure-t-il, dont il possède une collection qui en dit long sur sa recherche d’authenticité.
Les images valant mille mots, nous n’avons pas eu peur des milles et des mots; on a des photos et un petit film qui montrent la patience, la recherche de perfection et la créativité d’un Beauceron qui gagne à être connu. Chapeau Léo.
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